Autre merveille : le ginseng (insam en coréen). Ici, le P. du Halde me déconcerte. « Le Gin
Seng de Tsoë toen » écrit-il, « ressemble à l'homme : il est de couleur violette et un peu plat ».
C'est le plus précieux légume du monde . (Dans les pharmacies chinoises, des lévites au crâne
lunaire s'empressent comme autant de Cornailles autour de délicates balances suspendues
qui écrivent à même l'air, et vous livrent dix grammes de la bienfaisante mandragore pour le
prix de cent grammes d'or). Ce fut l'aphrodisiaque des Chinois : les riches mandarins frétaient
des caravanes afin d'être pourvus de cette racine d'immortalité. Ils en mouraient. Elevés au
rang des dieux par leurs exploits, les dieux jaloux (ou curieux) les rappelaient à eux. Le XVIIIe
siècle, qui s'intéressait à ces choses, fit une grande réputation au ginseng. Cherchant des
hommes-volants, je le trouve mentionné dans la Scribleriad de Richard Owen Cambridge : «
that restorative the tartar boasts... »
La pudeur jésuite et l'austérité marxiste s'accordent pour souligner d'autres propriétés
médicales du ginseng. Il guérit. Ceci doit s'entendre comme un absolu : il ne s'agit pas de ces
médicaments vulgaires qui ne concernent qu'une maladie, ou cent — aussi ridiculement
spécialisés que les prostituées de Pompéi. Avec le ginseng, le verbe guérir doit s'employer
comme le verbe pleuvoir.
Le P. du Halde consent tout de même à entrer dans le détail, mais très rapidement le
détail recouvre le tout, et le déborde : « il entretient l'embonpoint : il fixe les esprits animaux :
il arrête les palpitations causées par des frayeurs subites. » Il guérit même la maladie que les
Portugais nomment pesadelo (« ceux qui sont attaqués de cette maladie, s'imaginent
pendant leur sommeil qu'il est quelqu'un couché à côté d'eux »). I1 est bon pour le sommeil
« troublé par des songes et des phantômes») pour les morsures de chien (« et les maux de
rattes »), enfin — last, not least — « quand les entrailles sortent par le côté »