Ignacio Villa, dit Bola de Nieve (héritage de cette époque où les noirs étaient
d'abord des personnages comiques, sans d'ailleurs avoir le droit d'exercer
eux-mêmes cette discutable spécialité : je me souviens des
années trente et des acteurs blancs qui se barbouillaient
de cirage comme Al Jolson dans The Jazz Singer
pour tenir à leur place le rôle du negrito, toujours
balourd, voleur et stupide -la plupart des grands
acteurs cubains de l'époque ont commencé par
jouer le negrito) chantait en s'accompagnant au
piano. Son répertoire allait de Lope de Vega, mis
en musique, à la Vie en Rose, en couvrant au passage
tous les territoires de la chanson populaire cubaine.
Dans le sillage du maître Lecuona il a parcouru une route
aussi capricante que ses variations sur les poèmes de Guillén, depuis les
bouges de La Havane jusqu'à Carnegie Hall -et plus tard aux capitales de l'Est, où un
grand artiste noir était une plus-value politique pour le régime. J'ai cru savoir qu'il était
passablement déboussolé par le cours des événements après 68 -mais de bons camarades se
sont empressés de souligner qu'il n'avait aucun sens politique, reproche qui curieusement ne
s'applique aux artistes que lorsqu'ils critiquent, jamais quand ils approuvent.
Bola est mort en octobre 1971.