L'odeur des champs m'avait déjà rendu l'Italie, avant que l'entrée dans les tombeaux de Kanso ne me rendît
Caere et les tombeaux étrusques. Il paraît que la comparaison géographique entre la Corée et l'Italie est
traditionnelle : on s'émeut de trouver la géographie d'accord avec le sentiment (mais la géographie n'est
peut-être que du sentiment en code). La lumière, la beauté des visages, ce goût de vivre qui fait que rien n'y
paraît négligeable ni futile (« une journée qui serait perdue si elle s'était écoulée ailleurs qu'en Italie » dit
Larbaud)... Et ici, les mêmes dômes couverts de gazon comme des tourelles de fort, les mêmes couloirs, les
mêmes chambres carrées aux lits parallèles, aux murs couverts de fresques ocres, blanches, bleues — et en
étendant rétrospectivement le souvenir, comme un film qu'on remonte, la route de Cerveteri avec ses barrières
en X sur les champs, son pont de pierre et les zigzags (kobl— ah, kobl— ah, chantait Kim) que l'on voit déjà sur
le tableau de Filippo Lippi. Près des tumuli, le même chemin pour chèvres — les mêmes chèvres —, la même
place d'ombre pour Bérénice. Moins de tombes, trois seulement, et point de touristes. Mais la fraîcheur, qui fait
pleurer les bêtes sur les murs.
Ces bêtes, la petite fille du gardien des tombeaux veille sur elles, avec perplexité. I1 y a le phénix (qu'un
interprète, faute du mot précis, arrivait à définir : un poulet fantastique) et les quatre points cardinaux : le Coq,
le Dragon bleu, le Tigre blanc et la Tortue noire. Peut-être dans les montagnes chasse-t-on l'Ouest mangeur
d'hommes, l'Est cracheur de feu. Peut-être les amants se réveillent-ils la nuit au chant du Sud, et les enfants
attrapent-ils le Nord à l'embouchure des fleuves, pour en faire de la soupe.