Si, la dernière fois que je me suis baigné à Santa Monica (Californie), au lieu de retourner à terre, appelé
par je ne sais quelles frivolités hollywoodiennes, j'avais continué tout droit, j'arriverais aujourd'hui,
alculs faits, à la plage de Sonsan — où je suis. Rendez-vous à Samarra.
Dimanche à Sonsan : sur une estrade plantée d'arbres, le tchang-ko et l'accordéon alternent. Dans le
soleil un peu jaune de la fin d'après-midi, les danseurs (couples d'hommes, couples de femmes, couples
— et même un Pierrot Lunaire qui ne danse que pour lui) apparaissent et disparaissent dans mon viseur
comme les visiteurs d'un aquarium. Lorsque la musique s'arrête, on entend le souffle de dormeur du
Pacifique tout proche, dur dormeur.
L'indolence, la fameuse indolence des Coréens (c'est-à-dire, sans doute, leur transparence devant les
brutes militaires) avait sa caution ethnologique : une filiation océanienne. Seuls le bruit et la fureur d'une
histoire qui n'a rien à envier à personne auraient infléchi le destin d'une seconde Tahiti.
Faudra-t-il être reconnaissant à l'histoire d'avoir préservé la Corée de la terrible vieillesse des anciens
paradis, de l'avoir aidée, plutôt qu'à corrompre sa nudité, à vêtir son innocence, à changer ses Gauguin
pour des Renoir, et à bien choisir son Robinson ?