Histoire de la photo que je n'ai pas prise
Je n'ai jamais su comment "prendre" Hong Kong. que ce soit par le
film ou par la photo. Cette ville échappe à l'oeil qui la cherche, le
sature de faux exotisme, le décourage de vraie misère, le suffoque
de trop de chaleur... Seul Robert Cahen, avec Hong Kong Song, en
faisant donner l'électronique, a capté quelque chose de son arrogance
sournoise. Une photo par exemple, que je n'ai pas voulu prendre : un
type était allongé sur le trottoir de Nathan Road, à Kowloon, en plein
soleil. Il avait échancré sa chemise pour qu'on voie bien la volumineuse
tumeur qui pointait de son ventre, et à-côté de lui un petit papier lesté
de cailloux informait les passants de son infortune, les invitait à l'aider
de quelques pièces. Certains donnaient, le reste tourbillonnait dans le
trafic étouffant. Une image, un symbole, tout ce qu'on voulait, et si
facile à saisir (les passants indifférents, lui le visage abrité du soleil par
une étoffe)... Je n'ai pas voulu prendre cette photo, j'étais curieux de
ce qu'il ferait de ses piécettes, je l'ai donc suivi quand il s'est relevé au
bout d'une heure. Il a traîné un long moment entre les affiches des
cinémas, enfin il a choisi un film et il est entré. C'était Emmanuelle.