Si, comme Guillaume a pris soin de vous en avertir (je suppose que vous avez eu la
curiosité de consulter la rubrique "commandes"), je ne me suis pas privé de prendre
des libertés avec ma propre mémoire, n'ayant aucun compte historique à rendre à
personne, en revanche tout ce qui concerne oncle Anton est aussi véridique qu'il
m'est possible, compte tenu des nombreux trous qui ponctuent sa biographie. Ce
personnage qui m'a tant fasciné dans mon enfance, et à qui je dois sûrement en
partie ma passion de l'image, je ne sais pas tellement de choses sur lui. Qu'est-ce
qui le faisait parcourir le monde si naturellement aux années vingt et trente ? Beaucoup
de légendes familiales ont couru il aurait été un agent secret, l'envoyé spécial d'un
personnage puissant et caché, l'amant d'une riche aventurière (cette dernière hypothèse
déplaisait fort à tante Edith). En tout cas il disparaît de la scène vers 1935, on sait qu'il a
des rapports avec le Bund, quelquefois des cartes postales tombent du ciel, toujours à
l'intérieur d'une enveloppe postée dans une autre ville, signées en général "A.K",
il délaisse totalement femme et enfants, on le signale ici ou là comme on signale
toujours les gens qui ont disparu, à qui l'invisibilité confère automatiquement une
présence ubiquiste, plus fournie en détails que celle des gens qui sont toujours là,
et que personne ne remarque. La date de sa mort est purement hypothétique : elle
correspond au moment où plus personne, nulle part, n'a eu ou cru avoir de ses
nouvelles. Restent ces deux albums : celui de ses propres photographies, que je
persiste à trouver exceptionnelles, et l'album de famille que j'ai découvert
plus tard, et dont je ne peux que partager avec vous les interrogations.