CECI EST UNE MADELEINE
Que l’héroïne de Vertigo d’Alfred Hitchcock, un film qui entre cent autres thèmes
traite de la recherche folle d’un temps perdu, s’appelle Madeleine, c’est le genre de
rencontre qu’on peut saluer d’un sourire connaisseur sans en exagérer la portée. Mais
combien d’embranchements décisifs de nos vies ont reposé sur des rencontres encore
plus ténues ? Celle-là suffit à introniser Alfred au côté de Marcel, et à le prendre aussi
pour guide dans ce voyage à travers la mémoire. Vertigo, c’est l’histoire d’un homme
qui ne supporte plus cette dictature de la mémoire : ce qui a été, a été, et personne
n’y peut plus rien changer. Lui veut changer. Il veut qu’à travers les apparences une
femme morte redevienne vivante, il veut tout simplement vaincre le temps. Folie
peut-être, mais folie qui nous parle. Aucun film n’a jamais montré à ce point que le
mécanisme de la mémoire, si on le dérègle, peut servir à tout autre chose qu’à se
souvenir : à réinventer la vie, et finalement à vaincre la mort.
Il est banal de dire que la mémoire est menteuse, il est plus intéressant de voir dans
ce mensonge une forme de protection naturelle qu’on peut gouverner et modeler.
Quelquefois, cela s’appelle l’art.