Mosfilm n’était pas Hollywood, quoi qu’en dise Godard. Même si le rêve américain
habitait certains imaginaires (ceux des producteurs plus que ceux des créateurs, il
me semble), le jeu du cinéma russe obéissait à d’autres règles, et dans les pires sous-
produits du réalisme socialiste quelque chose passait de ce qui avait été la prise du
pouvoir de l’image, plus vraie que celle du palais d’Hiver. Comme un clandestin qui
trahit ses origines par un lapsus, un bégaiement de sa langue originelle, un film russe
entre deux plans laqués façon Metro Goldwyn laissait échapper un soupir de Barnet,
un cri de Dovjenko, et le spectateur reconnaissait le complice derrière le masque. Il
n’était que de voir les actrices : des stars, peut-être, mais dont la beauté et la folie
n’avaient rien de commun avec le glamour des cinglées alcooliques de Beverly Hills.
Les deux Tania, Samoilova et Lavrosa, se partageaient les beaux rôles et les méchants
racontars. Samoilova plus connue en Occident après le triomphe de Letiat Jouravli,
« le vol des grues » devenu en français « Quand passent les Cigognes » parce que pour
une affaire d’adultère… Lavrosa simplement sublime dans Neuf jours d’une Année
de Mikhail Romm (le rôle d’une femme partagée entre deux hommes, l’anti-Jules et
Jim, où chacun respectait les deux autres… ) Romm, comme Barnet, comme
Medvedkine, se servait des armes de la propagande pour tirer sur la propagande, et
à travers la fausse grandeur que charriait la mythologie officielle, faire entendre à
qui pouvait l’entendre la voix de la vraie grandeur humaine, assourdie mais présente.