Tu reviens de Hong Kong, huître à cent mille perles, et dès le
premier train (celui qui, de l'aéroport de Narita, te mènera droit
à ta chère Yamanote Line, court-circuitant l'intermi-nable trajet par
la route) la gentillesse japonaise te happe le cœur. Qui saura chanter
comme il convient l'hospitalité des xénophobes? C'est parce qu'il y a
quelque chose de réellement tragique, d'irrémédiablement fautif dans
le malheur de n'être pas Japonais qu'on doit avoir pour l'étranger
toutes les prévenances (comme pour le Chat). Tu montes les marches
de l'escalier de la gare, et tout d'un coup ton sac pèse moins lourd à
ton bras. Une robuste campagnarde s'est emparée de l'anse droite, et
t'amènera ainsi jusqu'au quai, où vous échangerez remerciements et
courbettes. Un homme tourne autour de toi: tu le reconnais, c'est
celui à qui tu avais demandé, en volapück, le numéro du quai. Ce
n'est pas son train, il n'a rien à faire ici, il va repartir dans un instant
après nouvel échange de salutations: il est simplement venu vérifier
que tu avais bien compris, que tu ne risquais pas de te retrouver à
Yamagata, à Aomori, le maudissant. Dans le train, tu t'enquiers du
nombre de stations avant la correspondance (tu pourrais regarder
sur le plan, mais c'est plus amusant de jouer Passepartout). Un jeune
type commence à énumérer sur ses doigts, comme une comptine.
Visiblement il se trompe, parce que les filles de son groupe se
mettent à rire, la bouche à demi-cachée par la main en coupe,
comme rient les Japonaises (le plus sûr moyen de dépister les
travelos, c'est de les faire rire). Un autre s'y met, s'embrouille aussi,
tout le wagon se marre. Le sketch durera jusqu'à la bonne gare, où
naturellement tu seras conduit d'une main sûre. Tu as parcouru ainsi
le Japon d'Hokkaido à Okinawa, avec comme seul bagage linguistique,