Inventer le Japon est un moyen comme un autre de le connaître.
Une fois dépassées les idées reçues, une fois contournée l'idée
reçue de prendre le contrepied des idées reçues, mathématique-
ment les chances sont les mêmes pour tous, et que de temps
gagné. Se fier aux apparences, confondre sciemment le décor
avec la pièce, ne jamais s'inquiéter de comprendre, être là
-dasein - et tout vous sera donné par surcroît. Enfin, un peu.
" We Japanese have a very special relationship with cats." C'est
Toru Takemitsu qui t'a dit ça hier soir, dans le petit bar de
Shinjuku. Venant d'un des plus grands musiciens vivants, la
confidence est précieuse. Derrière lui, rangées côte à côte,
les bouteilles de whisky des habitués du bar sont rondes et lisses
comme des tortues. Et l'association de ces deux mots, chat et
whisky, t'a fait passer dans la tête, comme une névralgie, le
regard d'un chat qui s'appelait précisément Whisky - nom assez
improbable pour un chat du douzième arrondissement, mais
c'était ainsi. Et il suffisait que du premier étage tu l'appelles, sans
même forcer la voix: "Whisky !" pour qu'il lève sur toi ce regard
- eh bien oui, inoubliable... Quelques microsecondes plus tard il
était là, sur le balcon, par une de ces compressions de l'espace-
temps que les chats sont seuls à connaître, avec quelques ascètes
thibétains. Le chat Whisky est mort écrasé par un camion et tu
lèves ton verre à sa mémoire, à la mémoire de ton autre ami-chat
bleu russe, bleu Tozai, à la mémoire de la choüette effraie qui est
morte un jour sur ta main, étouffée par la boule qu'elle avalait avec
une hâte de chasseresse. Tu te demandais quelquefois comment