1970 fut l'année-charnière de l'économie,
avec la zafra (la récolte de sucre) "des dix
millions". C'était le nombre de tonnes à
partir duquel l'île décollerait, et Fidel Castro
avait joué là-dessus quitte ou double : toutes
les autres activités suspendues, toutes les
catégories de la population mobilisées. C'est
ainsi que je me suis retrouvé coupeur de canne
(pas un des meilleurs, j'ai moi aussi ma part de
responsabilité dans l'échec final) quelque part
en Oriente, dans l'asphyxiante chaleur de
juillet. J'ai pu y voir de près la solidarité et
la désorganisation, l'hospitalité et la dignité
des paysans cubains, la beauté de leurs filles
(ça, ce n'était pas une découverte), la bonne
humeur stoïque de ceux d'en bas. et aussi la
présence fugace et intouchable de ceux d'en-
haut, les dignitaires à lunettes fumées qui
dominaient tout cela avec une impassibilité
de janissaires. Ce fut mon dernier voyage.